Arman : l'homme à la moto...

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Il est mort l'artiste !


- Arman dans son atelier de sculpture-soudure à Vence en 1989, photo (c) Farenne -


Il avait accédé à la postérité en accumulant d'abord les déchets de notre société pour en faire des œuvres… propres à nous faire réfléchir. Ce choix le conduisit vers la gloire et vers d'autres accumulations plus compatibles à son succès : violons et pianos y laissèrent leurs harmonies premières pour faire vibrer autrement le spectateur.

Arman alla chercher la consécration à New York dans le milieu des années 60. C'est là que le nouvel art s'épanouissait le mieux. C'est là que la cote des artistes se faisait et se défaisait. C'est là que les collectionneurs signaient les plus gros chèques. C'est là aussi que je le rencontrais, par un jour beau et froid du début décembre 1972. Partant de Los Angeles, je venais de traverser les États-Unis en moto avec mon amie californienne et nous cherchions désespérément à vendre notre compagne de route avant que chacun puisse retrouver ses pénates. Après plusieurs tentatives infructueuses, je téléphonais à une relation de mon père qui travaillait au consulat français. Lui faisant part de mon souci, elle me confia qu'elle avait récemment rencontré Arman et que, comble des hasards, il cherchait à acheter une moto pour offrir à son fils qui résidait en France.

Nanti de son numéro personnel, je me risquais à lui proposer ma Yamaha 650. Il me donna rendez-vous dans son loft de Soho. Là, il avoua son incompétence en la matière et me proposa de faire essayer l'engin par son aide du moment, un jeune étudiant niçois. L'essai fut concluant et l'étudiant en profita pour me faire visiter l'atelier voisin où il réalisait, selon les indications du maître, ces fameuses accumulations. Je crois me rappeler qu'il s'agissait alors d'une série sur les "baskets", ancêtres des futurs "joggings". Il me montra comment il fabriquait ces boîtes en plexiglas qu'il remplissait ensuite selon les indications du maître...

L'affaire fut vite scellée, à notre avantage et sans marchandage. Très gentiment, le maître nous présenta ensuite à sa femme, chaleureuse et magnifique ébène et nous fit visiter les pièces principales. De nombreuses œuvres d'artistes amis côtoyaient les siennes, des noms célèbres, de quoi impressionner les plus blasés… Je rencontrais par la même occasion son biographe et homme de confiance qui séjournait à demeure et qui avait la signature. En effet, comme Picasso, il ne signait plus ses chèques, sans doute inquiet de leur donner, par la simple opposition de son paraphe, de la valeur.

Arman nous fit monter la moto dans l'ascenseur du loft et l'installa à l'entrée de son appartement. Arrangement "provisoire" mais qui dura, je soupçonnais, plus que prévu. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que son fils l'ait jamais essayée. Tragiquement, il devait décéder d'un accident d'auto, en Espagne peu d'années après. Quant à la moto, elle finit peut-être sa vie, découpée en tranches et étalée dans une galerie de New York ou chez un grand collectionneur de Miami.

Je revis Arman, trente ans après, chez Roger Vergé à Mougins, lors de mémorables agapes, une des dernières avant que le restaurateur ne laisse ses fourneaux aux frères Llorca. Tobiasse, Sosno, Folon étaient de la fête.

Lorsque j'évoquais l'épisode de la moto, le maître secoua la tête : aucun souvenir.
Une histoire qui finit là en queue de poisson !