Le Mondial de football : quand le spectacle passe avant le jeu,
l'hystérie prend le pas sur l'euphorie.
- Zidane reçu par Bernard Brochand lors du centenaire de l'ASC -
Les Bleus sont au sommet, là où on ne les attendait pas. Ils nous avaient déçus depuis huit ans en tant qu'équipe alors qu'ils sont nombreux à briller dans leur club respectif dans toute l'Europe. Donc, on les avait quasiment enterrés et les amateurs de foot se préparaient à voir les rencontres, match après match, débarrassés de l'angoissante espérance de voir leur équipe gagner.
Et bien, match après match, les Bleus se sont accordés et ont améliorés leur jeu. Ils se sont retrouvés en demi-finale et aujourd'hui, ils jouent la finale. Grand bien leur fasse, bravo les Bleus ! Mais, de match en match, on a vu l'euphorie se transformer en hystérie. Des sociologues et des psychologues se penchent régulièrement sur le sujet. Nous leur laissons le soin de disserter et d'argumenter. Ils parleront de mouvement libérateur, d'utile soupape à l'incertitude du futur,… Constatons que certaines réactions frisent souvent l'indécence, que d'autres attisent la bêtise et déclenchent la violence.
La France a gagné sa demi-finale. Enfin, la France ? Onze joueurs, leurs remplaçants et le "staff". Il faudrait raison garder. Applaudir à deux mains, sentir l'adrénaline monter, crier un bon coup, boire quelques bières devant la télé ( et, si on les boit, ne pas prendre la voiture, s'il vous plait ! ) et puis basta. On rentre se coucher, demain, c'est lundi, certains travaillent !
Pour la finale, les autorités ont dû prendre quelques mesures supplémentaires pour limiter la casse, car casse il y a eut et casse il y aura. Cela est dans l'ordre des choses. Dès la fin de la rencontre, surtout si la France gagne, les CRS qui verront le match dans leurs autobus climatisés, seront chargés de maintenir l'ordre. Et justement, pour ne pas troubler davantage l'ordre public, il ne sera pas question ce soir d'alcotests et autres contrôles de sobriété… C'est la fête, à ce titre, tout sera permis ou presque.
Huit Français sur dix croient à la victoire des Bleus selon un sondage… effectué sur un échantillon de 513 personnes. C'est sans doute vrai. Des écrans géants ont été installés dans toutes les grandes villes de France. Attention les dégâts et les débordements. A Nice, la Préfecture appelle au bon sens et au civisme pour que la Fête puisse se dérouler dans les meilleures conditions…A Cannes, la police municipale et nationale n'aimerait pas que ce reproduisent les derniers débordements commis sur la Croisette… Nous n'en sommes pas rendus ici comme en Argentine où le joueur qui avait marqué par inadvertance un but contre son équipe fut assassiné à son retour au pays… Mais des gens sont morts en fêtant la sélection des Bleus pour la finale. Sans doute moins qu'ils n'en meurent chaque week-end sur les routes de l'hexagone, trop quand même. Les parents qui pleurent leur blessé ou leur mort, auraient sans doute préféré que le Portugal gagne.
Autre remarque, l'attitude de nos élites et de nos dirigeants. Tous derrière les Bleus, bien entendu, pas question de troubler la fête. Pas un n'appelle à la mesure, ce ne serait pas politiquement correct ! Cette union sacrée autour d'une équipe, d'un drapeau, il faut plutôt l'encourager. Un jour ça peut servir ! C'est grâce à ce mécanisme qu'on envoie une génération de soldats au combat, la fleur au fusil, mourir sur des champs de bataille…
Onze types, si talentueux soient-ils, ne représentent, heureusement pas, toute une nation, tous ses prix Nobel, ses chefs d'entreprise, ses artisans, ses professeurs, ses chercheurs, ses paysans ( dont beaucoup ne manqueront pas d'être assis ce soir devant leur poste de télé…). Quelle supercherie dangereuse de faire croire le contraire, d'attacher autant d'importance à leur prestation. Ce sont des professionnels qui font parfois, bien leur boulot, pas plus, pas moins.
Et Zidane dans tout ça ? Il apparaît au-dessus du lot. Discret, appliqué, concentré, sorte de puissance tutélaire qui veille sur l'équipe de France, il impose le respect. Son comportement sur le terrain comme dans la vie de tous les jours apparaît exemplaire. Il téléphone à son vieux découvreur cannois, M. Varaut, qui se meurt ( son père et son oncle iront à son enterrement qui a eu lieu en plein Mondial ). Zidane ? On l'imagine mal hurlant, klaxonnant dans sa voiture, la sono à fond. Zidane, un modéré qui sait raison garder. Il ne lui reste plus qu'à être un modérateur.
Dans deux heures, des millions de Français vont vibrer, certains avec modération, d'autres sans aucune retenu, ce sont ceux-là que nous croisons tous les jours sur nos routes et dans nos rues et qui, par leurs comportements agressifs, montrent le peu de considération qu'ils ont pour leurs semblables. Que la France gagne ou perde, cela ne les changera pas. Seul le bruit, dans la nuit qui vient, pourra faire croire le contraire.
- mention : www.pariscotedazur.fr - juillet 2006 -