Paris s’éveille : Rungis appartient à ceux qui se lèvent tôt…

- Visite guidée -

Réveil à 3 heures… pas pour prendre un charter pour aller au soleil… pour Rungis… Je me demande pourquoi j’ai accepté cette invitation… Je me prépare et j’abandonne l’idée du café bien fort que j’avais imaginé la veille : rien ne pourrait passer, à part un oreiller bien mœlleux… hum… mais il en est hors de question : on m’attend.

Le taxi commandé la veille est à l’heure et nous traversons un Paris désert comme dans du beurre, jamais vu ça. Le problème, du coup… je suis en avance. J’aurais pu dormir encore… Mais j’oublie vite car j’admire la Place de la Concorde et, à part le nôtre qui attend que le groupe soit au complet, pas un bus en vue. C’est magique. Cette place est majestueuse.

Ceux qui ont réussi à se lever, se présentent timidement et visiblement dans le coton, ça rapproche.

Pas le temps de s’endormir sur le trajet (7 km à parcourir au sud de Paris) : la route est une piste de bowling sans obstacle, alors que des kilomètres de bouchons se formeront dans quelques heures. On se sent un peu les rois du monde.

On atteint le marché de Rungis en quelques minutes. Patte blanche à montrer au péage qui filtre les entrées (8 € quand même) et nous voilà pénétrant dans ce microcosme qui n’a rien de micro : près de 250 hectares, 1.200 entreprises, 12.000 personnes, un chiffre d’affaires de 7,6 milliards €… Saviez-vous que le marché de Rungis est la plus importante plateforme agro-alimentaire du monde, consultée pour son savoir-faire par les professionnels du monde entier de Shanghai à Moscou, du Caire à Lima ?

Il est 4 h 45 quand nous entrons, vêtus d’une blouse blanche et coiffés d’une charlotte, dans le Pavillon des produits de la mer et d’eau douce. Ça crie un peu mais le gros de la « négo » est déjà passé. Sur ces métiers-ci, c’est entre 23 h et 4 heures que tout se joue. Les pieds dans l’eau et les mains dans les poches, parce qu’il fait vraiment très froid, on plonge nos yeux dans des bacs de poissons énormes et magnifiques. Malgré l’heure, on se surprend à avoir envie de ces coquilles St Jacques de la taille d’un poing (sans la coquille je précise), de ces gambas royales pourtant encore actives, un peu moins de ces sabres aux reflets aluminium ou de ces baudroies boudeuses. Les vendeurs sont réservés et la communication n’est pas évidente. On passe discrètement notre chemin pour entrer dans le Pavillon du gibier et de la volaille.

La halle est belle (ciel en poutres de bois) mais les gens semblent un peu tristes ici, je ne sais pas pourquoi. De beaux poulets, quelques lapins, des pâtés, mais l’attraction se trouve un peu plus loin, dans le café où, autour d’un zinc « à la Parisienne », une nuée d’hommes en blanc boivent un café en discutant. On a envie de s’installer et de se mêler à cette foule rassemblée à une heure où tout le monde ailleurs s’éveille à peine. Il est 6 heures. On s’offre un café et un croissant. J’aimerais rester là et écouter les conversations, de vrais poèmes. Je me régale. Plus aucun regret de m’être levée aussi tôt ou tard, je ne sais plus. Mais il faut repartir…

Pas le temps de s’ennuyer car voici le Pavillon de la triperie : attention les estomacs ! Cette étape ne fait pas toujours partie des circuits car le spectacle pourrait remuer quelques âmes sensibles. Et pourtant, oserais-je dire que, malgré ma tendance végétarienne, je suis sous le charme. Des langues, des queues, des foies, des tripes, des têtes de veau entières ou roulées… C’est surprenant. Et l’ambiance l’est également : les vendeurs sont avenants et charmants. On se sent bien malgré ce décor… inattendu… L’étonnement se poursuit dans le Pavillon de la viande, véritable exposition à la Francis Bacon : des mètres de viandes d’un rouge passionné, rangées avec une précision maniaque. L’atmosphère est encore différente des autres Pavillons : on sent un vent de fierté. On m’explique que nous sommes chez les « seigneurs de Rungis »… Nous sortons avec respect, sur la pointe des pieds, et dehors, le soleil est levé.

Nous arrivons alors dans le Pavillon des traiteurs où s’achètent les huiles d’olive, les câpres marinés ou les tomates confites. Pas un chat… Des drapeaux partout car Rungis est en fête (40 ans cette année) mais faut le savoir car l’ambiance est plutôt « fin de bal », vous voyez ? On ne s’attarde donc pas…

Le pavillon suivant est celui des produits laitiers que nous parcourons malheureusement au pas de course. Je reste à la traîne car mon nez ne peut s’empêcher de se poser sur les croûtes ridées des meules énormes, sur les plateaux de petits fromages pleins de moisissures, sur les chèvres ronds, cylindriques, carrés… Quelqu’un aurait une baguette croquante pour moi ? Ca donne faim tout ça.

Je ne me calme pas en traversant un des neuf pavillons des fruits et légumes. Dans une cohue incroyable, slalomant entre les piles de cagettes d’ananas, de radis, de piments, je découvre un royaume voué aux fruits rouges. Des mètres carrés de framboises, fraises et groseilles. Je rêve ! Envie d’oublier mon éducation est de voler ces trésors. Mes papilles n’en peuvent plus, elles réclament ce sucre rouge qui s’étale devant mes yeux. Je prends une grande respiration et m’enfuis avant de commettre l’irréparable.

Je me réfugie dans le Pavillon de l’horticulture. Ma faim est stoppée nette, déconcentrée par une étendue de roses aux teintes romantiques. Je suis au paradis ! Et là, je passe d’étal en étal, accrochée à mon appareil photo, humant les parfums de roses mais aussi de lilas, de freesias. Je propose au guide de m’abandonner là, définitivement. Mais, cela ne se fait pas… Je me sens malheureuse tout à coup. La visite est finie.

Un petit-déjeuner rungissois nous attend pour clôturer cette découverte hors du temps. Je suis véritablement conquise par ce marché magnifique, concentré des meilleurs produits qui nous régalent. On me propose grillade ou andouillette frites… Euh… une tartine à la confiture de fraise, c’est possible ?

Gypsophile