Télévision : le « Jeu de la mort » fait des victimes…
et réfléchir sur l’origine des bourreaux.
Il s’agissait d’un jeu télévisé. Au départ d’un jeu comme un autre, un jeu comme il en fleurit à l’année longue sur le Paysage audiovisuel français. À l’arrivée, c’est autre chose. Le spectateur, assis confortablement dans son fauteuil, aura eu, espérons-le du moins, un petit goût de cendre dans la bouche. Imaginez qu’on vous demande d’envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes (sorte de version revue et corrigée de la « gégène ») à un candidat qui répond mal aux questions qu’on lui pose…
C’était l’autre soir sur TF1, l’émission de télé-réalité, le « Jeu de la mort ». Des hommes et des femmes à priori sensibles et présumément sensés, ont montré qu’ils pouvaient sans trop se poser de questions, infliger à d’autres ce qu’ils refuseraient certainement de subir. En tant que spectateurs, ils se seraient révoltés, en tant qu’acteurs, qu’exécutants, leurs réactions ont été bien différentes. Apparemment, nous sommes donc capables de fonctionner sur divers plans sans qu’ils se rencontrent ou se gênent. Placés du bon côté du manche, dans la position d’être un tortionnaire, nous acceptons la situation pour peu que quelqu’un, au-dessus de nous dans la hiérarchie, nous donne l’ordre ou la présumée justification de l’acte et in fine, nous récompense. Celle-ci nous rassure et nous permet de calmer nos états d’âme… Nous appuyons alors sur le bouton, nous brandissons la hache, nous abaissons la manette. Ainsi la bombe est tombée sur Hiroshima, la hache a décapité le roi et les camps de la… mort n’ont pas eu de mal à trouver des gardiens, des exécuteurs des basses œuvres. Sur TF1, avant-hier, 81% des candidats à l’émission télévisée le « Jeu de la mort », malgré les cris des victimes, sont allés jusqu’à infliger la décharge électrique maximale, celle capable de provoquer de sérieux troubles de… santé, voire la mort.
Rien de nouveau sous le soleil, l’homme est dans bien des occasions, un loup pour l’homme. Le travail de l’américain Stanley Migram, dès les années soixante, l’avait démontré. Son expérience était, à peu de chose près, celle reprise dans l’émission télévisée de Christophe Nick. Elle permettait de mesurer le degré de soumission à l’autorité même lorsqu’elle comporte des actions… dérangeantes, des actions qui pourraient et devraient bouleverser nos convictions morales, citoyennes ou religieuses.
Ce qui se passe durant les guerres, celles d’avant-hier, d’hier, illustre tragiquement le propos et l’expérience. Que dire des guerres qui se déroulent aujourd’hui ? Il y a eu, il y a toujours eu, de par le monde, des gens qui sont en guerre, qui font la guerre, qui s’entretuent pour un bout de terrain, une position stratégique, une mine, une source, une religion… Dans ce 21ème siècle qui sera spirituel ou ne sera pas comme l'affirmait André Malraux, sœur Anne ne vois-tu rien venir ?
Dans l'Occident, ou plutôt ce qu’il en reste, cette violence d’homme à homme, d’œil à œil, de dent à dent, prend d’autres formes, plus discrètes quasiment admises. On la retrouve dans le monde du travail. Propulsés trop vite à leur point d’incompétence pour le principe de Peter, les petits chefs y règnent, ne rêvant que d’être grands. La conjoncture leur est favorable. La mondialisation est passée par là, moins de postes à pourvoir, pour plus chômeurs putatifs sur lesquels il est facile de faire pression : travailler plus pour gagner moins ! Alors, on exige, on traite sans considération ses petites mains qui font tourner la machine, on les pousse à démissionner. Certains s’y ressoudent sous peine d’être placardiser, d’autres dépriment allant parfois jusqu’au suicide. Si l’on a parlé abondamment de France Telecom sur ce sujet, combien d’autres travailleurs du privé comme du secteur publique souffrent dans l’anonymat, pas toujours compris ni soutenus par leurs camarades de travail qui préfèrent s’accrocher à ce qui leur reste, oubliant qu’ils sont les prochains sur la liste…
On peut à juste titre se poser la question : que feraient en temps de guerre, ces harceleurs, ces petits chefs méprisants qui ne semblent… guère avoir d’état d’âme ? N’ont-ils pas déjà le profil de ces gardiens de goulags ou de camps de concentration ? Combien parmi eux hésiteraient à envoyer l’ultime décharge pensant qu’il ne font que leur devoir ou qu’ils participent à un jeu télévisé, au « Jeu de la mort » ?
Autre question à laquelle il est difficile d'échapper si l'on veut être honnête : qu'aurions-nous fait, placés dans les mêmes conditions ? Aurions-nous refusé de brancher la gégène, d'être les gardiens du goulag, les fossoyeurs de Dachau ou d'Auschwitz… pour faire vivre notre famille, pour prendre du grade dans la société, cela sans pour autant cesser d'aller à confesse le dimanche matin ?
Alain Dartigues
- mention : www.pariscotedazur.fr - mars 2010 - magazine fondé il y a cinquante ans… - écrire au journal, se désabonner -