Cannes : une perspective gâchée...
Il aura fallu plusieurs maires bâtisseurs pour réduire à presque rien la perspective sur le Suquet.
Un triste constat illustré par la photo prise depuis la Croisette. Il n’y a pas si longtemps, bien que le terme soit relatif à l’échelle de l’éternité..., les promeneurs qui arpentaient la célèbre Croisette, dédoublée astucieusement par Bernard Cornut-Gentille en 1959, avaient une magnifique vue sur le quartier du Suquet et une partie du vieux port. Une vue qu’on aurait pu croire imprenable. En effet, le Casino municipal était un monument historique et faisait partie du patrimoine des Cannois. Une réussite architecturale avec ses verrières, sa salle de gala des Ambassadeurs, son théâtre et ses jardins au sud. Ses proportions ne défiguraient pas le paysage. La forêt de palmiers et les autres arbres exotiques des jardins Renaldo Hahn complétaient un tableau équilibré dont pouvaient profiter les résidants, les touristes de passage et les Cannois qui n’étaient pas les derniers à s’y promener les dimanches.
Crime de lèse-majesté dont bien peu ont mesuré l’étendue, la
destruction de l’ancien Casino municipal d’hiver. Ce caprice d’élus en mal de
gloriole n’a suscité quasiment aucune réaction de la part des Cannois et de l'Architecte des Bâtiments de France.
Dommage, le mal est fait, irrémédiablement. Non content de l’apparition d’un
blockhaus dans le panorama, de nouveaux élus se mirent dans l’idée de faire
construire dans l’alignement du Palais/blockhaus, une extension sous forme de
Rotonde. Après maints démêlés avec la justice, elle vit finalement le jour,
obstruant davantage la vue. Nous passerons sur le suivi de ces dossiers mal
ficelés où les vices de forme défrayèrent les chroniques journalistiques,
associatives et judiciaires. Encore une fois, les tentatives pour faire échouer
le projet échouèrent, l’extension construite, le mal était fait.
Il aura fallu quelques décisions contestables pour galvauder un patrimoine irremplaçable, pour changer un paysage sans le rendre plus beau, bien au contraire. Les plages sont occupées par du béton, le plus souvent coiffées par une forêt de tentes pointues occultant le sable et, jusqu’à un certain point, la mer. On peut en flânant le long de la Croisette, goûter en prime aux effluves évocateurs de la cuisine provençale... émanant des restaurants de plage. La baie est périodiquement envahie par des paquebots gigantesques bien plus hauts que les îles de Lérins dont on craint que la plus grande ne cède à la pression immobilière. Mais qui s’en soucie au fond. Le point fort de l’homme et sa principale faiblesse, c’est sa capacité d’adaptation. C’est ce qui le fait accepter sans révoltes les multiples atteintes à la dégradation de son environnement. Pour peu qu’on lui laisse le temps de s’adapter. De moins en moins de place pour circuler, se garer (et à quel prix), de plus en plus de temps pour se rendre à son lieu de travail dans le bruit et les fumées d’échappement enrichies de particules fines..., pour se loger dans des conditions convenables. Pour beaucoup d’entre nous, vivre aujourd’hui, ce n’est pas vivre mieux.