Méditerranée : l’histoire de la clémentine
contée à Clémentine...
Un jour Jocelyne Mas rencontre une jolie petite fille nommée Clémentine. Elle était ronde, douce, blonde et dorée comme ce fruit né sur une terre de soleil. Une occasion rêvée pour cette écrivain d’origine « pied-noir » de lui raconter l’histoire vraie de la clémentine...
- photo Tracy -
- Sais-tu que la clémentine a été inventée en Algérie ? demanda-elle à la petite fille.
- Non ! lui répondit Clémentine.
- Alors je vais te raconter son histoire, lui proposa Jocelyne.
« Il était une fois, très loin, de l'autre côté de la Méditerranée, sur un continent nommé Afrique, une terre inculte et vierge. C'était l'Algérie du temps de l'Algérie française. De pauvres journaliers espagnols étaient venus la défricher, parce que dans leur pays régnait la misère. Ils travaillaient dur sous le soleil implacable, ils étaient dirigés par le Père Abraham. Ce grand bâtisseur voulait offrir un toit et une éducation à tous les pauvres orphelins indigènes. Aussi avait-il fait appel à ces hommes robustes et courageux et ils avaient arraché les lentisques et les racines très profondes des palmiers nains qui envahissaient la plaine. À force de travail, ils avaient construit un orphelinat sous le ciel le plus bleu d'Afrique, à Misserghin près d'Oran, près d'un Couvent des moines du Bon Pasteur.
Tous ensemble, ils travaillèrent très dur et au bout de quelques années de grands bâtiments éclatants de blancheur sortirent de terre, de magnifiques jardins les entouraient et faisaient une touche de verdure qui tranchait avec le blanc des bâtiments. Au loin un grand verger planté d'agrumes faisaient la fierté des moines. Il y avait des citronniers, des orangers, des pamplemoussiers, des mandariniers qui maintenant produisaient bien. Tous ces arbres s'entendaient à merveille et quand la brise de printemps, chaude et douce, emmêlait leur feuillage alors se répandait dans l'air une senteur divine, que le simple fait de respirer comblait d'aise passants et visiteurs.
Mais un moine du couvent Frère Clément avait remarqué un arbre ressemblant à un oranger qui poussait, seul et rabougri, sur une butte. Ses fruits ressemblaient à des oranges mais étaient petits et très amers et n'étaient pas comestibles. C'était un bigaradier. Fier et seul sur sa butte. Le Frère Clément, passionné d'arboriculture avait lu dans ses livres qu'avec les fruits du bigaradier on pouvait fabriquer une liqueur : le Curaçao et aussi un produit utilisé en pharmacie l'essence de Néroli. Aidé par ses jardiniers qui eux étaient nés à Valence en Espagne et, de ce fait, la culture des agrumes n'avait aucun secret pour eux, il entreprit de faire de ce verger un exemple pour tout le pays. Ces arbres deviennent leurs enfants : ils les soignent avec amour, les taillent, les redressent en appliquant des tuteurs à leurs troncs encore fragiles. Ils veillent à aérer la terre autour de leur pied, y mettent du fumier, des engrais naturel, gainent leurs troncs de chaux blanche pour les fortifier et éloigner les insectes. Bref ! Ils les aiment.
- Trouves-tu que c'est étrange d'aimer un arbre ? demandais-je à Clémentine qui m'écoutait attentivement, bouche bée. Comme elle ne répondait pas, je repris : Non, ce n'est pas étrange ! Quand tu aimes un arbre, que tu le soignes, alors il te donnera les plus beaux fruits de la terre pour te remercier.
Dans ce pays l'eau est très rare mais les arbres ont besoin d'eau pour grandir, alors nos jardiniers recueillaient l'eau de pluie et creusaient des rigoles où cette eau si précieuse coulait le soir à la tombée de la nuit. Car en pleine journée, elle se serait évaporée tout de suite et n'aurait pas eu le temps de nourrir les racines. Frère Clément se promène dans son verger, fier du travail de ses jardiniers mais il est quand même triste parce que le bigaradier reste seul, fier et sauvage sur sa butte. Aussi, un matin il a une idée : il va créer un nouveau fruit ! Il n'est pas bavard mais c'est un magicien ! Un fruit qui ne sera ni un citron acide, ni une orange amère, mais un fruit doux comme le miel, odorant et de couleur aussi cuivrée qu'un abricot bien mûr. Et tout le monde se met au travail : les jardiniers, sans relâche, greffent, bouturent, transfèrent le pollen d'un arbre à un autre pour féconder les bigaradiers avec le pollen des mandariniers. Ils travaillèrent ainsi pendant quatre ans, se désolèrent parfois mais ils continuèrent leurs travaux et au bout de quatre années, un jour le miracle se produisit. Ils obtinrent un fruit divin, rond, doux à souhait, une peau si fine et odorante : bref un régal. Ce fruit prit le nom de Mandarinette.
Aussitôt dans tout le pays la nouvelle se propagea et chaque fermier, cultivateur voulait posséder un tel arbre. La méthode du Frère Clément va être appliquée par tous les arboriculteurs habitant sur le pourtour de la méditerranée. Ils créèrent ainsi les Clémenvillas, les Minéolas... qui n'étaient autre que des cousines de notre Mandarinette, mais aucun de ces fruits n'égalèrent sa saveur. En mai 1894, la Clémentine est née, croisement d'une fleur de mandarinier avec le pollen d'un bigaradier. En 1900, la Clémentine (en l'honneur du Frère Clément) est labellisée.
Le Frère Clément de son vrai nom Vital Rodier était né à Malvieille en 1839, dans le Puy de Dôme. Il faisait ses études à la Chartreuse de Valbonne en Ardèche. Un jour, ayant assez d'avoir toujours froid, il entreprit le voyage en Algérie pour aller retrouver son oncle André Rodier qui avait intégré le couvent du Père Abraham en 1866. Le père Abraham était alors Directeur de la Congrégation du Saint Esprit à Misserghin. Là, il devint Frère Clément et contribua à développer cette pépinière riche de 100 000 plants d'arbres et de 600 espèces de rosiers.
Quant à l'orphelinat de Misserghin, il fut créé par Le Père Abraham sur un terrain acheté 39 0000 francs par le Préfet d'Oran au nom de l'état pour y installer un orphelinat de garçons. Le paludisme, le choléra sévissaient alors. Des jeunes français, espagnols, arabes furent recueillis en 1868 et entretenus par les soins de l'Evêché.
Voilà l'histoire de la clémentine ! »