Terrorisme : la France fait plier les fabricants de téléphones,
jusqu'à quand ?
Antoine Chéron, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC, fondateur du cabinet ACBM, reste un brin... septique.
Lutte
contre le terrorisme ou protection accrue des données à caractère
personnel ? Les députés ont tranché au profit du premier. En
effet, dans le cadre des discussions relatives au projet de loi
renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, l’Assemblée Nationale a adopté jeudi dernier un
amendement contraignant les constructeurs et opérateurs à coopérer
aux enquêtes de police.
Suite
aux attentats de Paris, le gouvernement a eu la volonté d’adapter
le dispositif législatif au travers de ce projet de loi afin de
lutter contre le crime organisé et le terrorisme. Ainsi, le texte a
pour ambition de remplir un triple objectif. Il vise tout d’abord à
renforcer d’une part l’efficacité de la lutte contre la
criminalité organisée, d’autre part les garanties au cours de la
procédure pénale et plus spécifiquement durant la phase
d’enquête ; ensuite à simplifier le travail des enquêteurs
et des magistrats à tous les stades de la procédure.
Ainsi,
le projet de loi de réforme pénale autorise notamment le recours à
l’utilisation de l’IMSI (International Mobile Subscriber
Identity) catcher au cours d’une enquête. Dans ce cadre, l’article
2 habilite les officiers de police judiciaire, après autorisation du
juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction, à
collecter les métadonnées des téléphones mobiles nécessaires à
leur identification dans un secteur géographique précis. Cette
technique avait déjà été autorisée pour le renseignement par la
loi du 24 juillet 2015. Les mises sur écoute permettent alors
d’intercepter les communications téléphoniques des personnes
impliquées dans des affaires de terrorisme ou de criminalité
organisée.
Par
ailleurs l’amendement n°90 déposé par le groupe les
Républicains, au projet de loi et adopté contre l’avis du
gouvernement, prévoit d’aggraver les peines des opérateurs qui
refuseraient de coopérer à une enquête, en les portants à 3 750
euros et 15 000 euros d’amende et deux ans
d’emprisonnement.
Il
complète également l’article L 230-1 du Code pénal qui permet
aux autorités judiciaires de désigner toute personne morale ou
physique en vue d’accéder à des données chiffrées. Ce faisant,
il disposera désormais en son dernier alinéa que « le fait,
pour un organisme privé, de refuser de communiquer à l’autorité
judiciaire requérante enquêtant sur des crimes ou délits
terroristes (…) des données protégées par un moyen de
cryptologie dont il est le constructeur, est puni de cinq ans
d’emprisonnement et de 350 000 euros d’amende »,
l’amende étant portée au quintuple concernant les personnes
morales.
L’adoption
d’une telle disposition n’est pas sans faire écho à la décision
du 16 février dernier dans laquelle le juge américain Sheri Pym a
contraint Apple à fournir au FBI « une assistance technique
raisonnable » afin de lui permettre d’accéder au contenu
crypté de l’iPhone d’un des auteurs présumés de la fusillade
de San Bernadino. Nul doute que ce jugement ait influencé les
députés.
Tim
Cook avait déploré cette mesure, considérant que « concevoir
une version d’iOS qui contourne la sécurité de cette manière
créerait sans contestation possible un backdoor » engendrant
par la même un certain nombre de dérives. A ce titre, lors
des débats du projet de loi pour une République Numérique devant
l’Assemblée Nationale Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat au
Numérique avait d’ailleurs fait rejeter un amendement déposé par
Nathalie Kosciusko-Morizet visant à imposer aux concepteurs de
systèmes de communication la création d’une backdoor.
Le
successeur de Steve Jobs avait affirmé vouloir renforcer le
chiffrement des données des iPhone estimant que la protection des
données des utilisateurs doit primer, même en présence d’une
menace terroriste. Ce qui était également la volonté du
gouvernement qui au travers du projet de loi pour une République
Numérique confère pour mission à la CNIL la promotion du
chiffrement des données. Guillaume Poupard, président de l’Agence
Nationale de Sécurité des Systèmes Informatiques, confirme que le
chiffrement est « un outil indispensable » à la
protection des données commerciales, personnelles et stratégiques,
et qu’en ce sens il est nécessaire de le promouvoir.
En
réalité, il s’agit d’une prise de position des députés en
demi-teinte au regard du niveau peu élevé de l’amende eu égard
au poids économique de ces multinationales. L’application d’une
telle peine aurait davantage de conséquences en termes d’image,
qu’en termes économiques. Les députés ont rejeté l’amendement
au projet de loi déposé par Eric Ciotti et qui visait à
sanctionner les entreprises d’une amende de deux millions d’euros
et d’une interdiction de commercialisation d’un an.
Cet
élargissement des pouvoirs dans le cadre des enquêtes de lutte
contre le terrorisme s’inscrit dans la difficile conciliation entre
le droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 8 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés, et ses restrictions nécessaires à la paix publique.
Contrairement à ce qu’a pu affirmer le Conseil d’État
à propos notamment de l’article 2 du projet de loi, dans un avis
du 28 janvier 2016 estimant que cette disposition ne se heurte pas à
un obstacle constitutionnel ou conventionnel.
Me Antoine Chéron