Archives : Entretien, avec David Dickson
champion et capitaine de l’équipe olympique de natation…
Le quotidien « L’Espoir » publiait le 19 décembre 1967 cet interview qui allait marquer le début de la présence en France de cette personnalité sportive. Il devait en effet, quelques années plus tard, devenir l’entraîneur en chef du Cercle des Nageurs d’Antibes (et de Pierre Andraca) et le placer d’entrée dans les 3 meilleurs clubs français, du Sport Études, avant de prendre en mains les destinés de l’Équipe de France. Jalousé par les entraîneurs français, il fut poussé vers la sortie dès lors qu’il refusa de s’installer à l’Institut National des Sports à Vincennes préférant rester à Antibes, dont la vocation était selon lui de devenir « la Californie de la natation européenne ». De retour en Australie, il devait mettre en route l’Institut des sports à Canberra. Il est actuellement membre du Comité olympique australien.
De la piscine du port Canto, à Cannes, à celle de Font-Romeu. Entretien avec David DICKSON. Champion et capitaine de l'équipe olympique australienne de natation
Un garçon de 25 ans… Bien bâti, sympathique. Mais encore ? Le capitaine de l'équipe australienne de natation. Aux Jeux Olympiques de Rome en 1960 et à ceux de Tokyo en 1964. En 1966 il était membre des relais 4 fois 110 yards et 4 fois 220 yards nage libre qui devaient battre les records du monde de cette spécialité. À Rome, avec ses amis John Konrads, John Devitt et Murray Rose, il avait obtenu une médaille de bronze dans l’épreuve reine, celle qui permet de juger de la santé d'une natation sportive le 4 fois 200 mètres nage libre.
Sur 100 mètres nage libre (crawl, bien sur), son record personnel est de 53’’9/10. Cela signifie qu'il se classe parmi les tout meilleurs sprinters du monde. David Dickson est un vieux nageur, sans que rien de péjoratif s’accroche à ce terme. Vieux nageur parce que cela fait longtemps qu’il nage : plus de dix ans. C'est aussi parce que Dave n'est plus un gamin, iI sait de quoi il parle, il sait ce qu'il veut, même s'il ne sait pas très bien comment s'y pendre. II est convaincu aussi qu'il peut progresser s'il s'entraîne raisonnablement. Il est d'ailleurs décidé à le faire et prépare Mexico, où se dérouleront les prochains jeux olympiques.
- David Dickson, piscine du Port Canto, Cannes -
Cet après-midi, dans « l'Espoir » Avec David Dickson, à la piscine du port Canto, champion olympique de natation.
David travaille maintenant à Cannes, où il a rejoint son ami Chris Fradelos, autre champion australien de water-polo. Nous l’ayons vu s'entraîner à la piscine privée du port « Pierre Canto » et appris à le connaître un peu mieux. En toute camaraderie, il a bien voulu se plier au jeu de l'interview :
« Les cours de natation débutent à 6 heures du matin »
- Que pensez-vous de l’état de la natation française ?
- - Elle progresse et ira en progressant. C'est une des meilleures d'Europe. Elle peut et doit faire mieux car elle a quasiment tout pour réussir.
- Pourtant tout le monde se plaint, les nageurs, les parents, les entraîneurs, les dirigeants. Nous manquons de piscines, de matériel. Nos programmes scolaires sont démentiels et nous trouvons que nous ne sommes pas assez aidés par l’État.
- - Ah ! ces Français ! tous les mêmes… La France est, avec la Suède, un des pays au monde les mieux armés pour former des champions. Elle a suffisamment de piscines et toujours de plus en plus. Elle a des moyens matériels, des aides de toutes sortes que beaucoup de pays vous envient. Chez moi en Australie, tout est payant : l'entraîneur, les déplacements, l'inscription dans les compétitions, l'entrée de la piscine… enfin tout. Seulement, après avoir payé et peut-être à cause de cela aussi, on se met au travail. On ne resquille pas des longueurs de bassin, car on aurait peur de se voler. Les séances d’entraînement débutent à 6 h du matin avant l'école ou le travail, pour reprendre à 18 h après les cours.
Je suis allé au Japon, en Amérique, de la Suède en Italie en passant par l'Espagne et la Grande-Bretagne, je peux dire que je connais pas mal de piscines. Et c'est bien en Europe que j'ai trouvé le plus de facilités en ce qui concerne l’entraînement. Facilités dont s'aperçoivent peu les bénéficiaires.
« Un calendrier sportif illogique »
- Comment expliquez-vous que la natation européenne soit en retard sur l' Australie, dont le recrutement est très limité par rapport à son territoire, et plus particulièrement sur les États-Unis d'Amérique ? Et comment un seul club américain, le Santa Clara Simming Club, peut-il se payer le luxe de battre une coalition qui serait théoriquement composée des meilleurs nageurs du reste du monde ?
- - C’est difficile de répondre brièvement, car trop de facteurs sont en jeu…
Peut-être parce que le sport est entré dans les mœurs là-bas plus que chez vous. Pour en revenir à des raisons plus techniques qui touchent l'élite, je me permettrais de critiquer les calendriers sportifs européens ainsi que le manque de compétitions à un niveau élevé. Contradiction, me direz-vous ? Apparemment seulement. En effet, les nageurs ne devraient se concentrer que sur deux ou trois points importants pendant la saison et ne pas craindre de se faire oublier, par exemple, entre les années olympiques. Mais aussi à la moindre occasion, de se frotter avec des concurrents de valeur sans pour cela être être tenu de gagner à tout prix.
Ici, malheureusement, les athlètes, les vedettes sont adulés de telle manière qu'une défaite est forcément un échec cruellement ressenti par lui, son entourage et le public. - Somme toute, le sportif doit apprendre à perdre pour mieux triompher ?
- - Oui, il faut éviter de perdre bien sûr, mais plus encore de ne pas lutter.
Perdre est une étape nécessaire, et une compétition est avant tout une expérience qui doit se révéler « fructueuse ». Ainsi Schollander se fera battre et rebattre, hors saison, pour arriver en superforme le moment venu. Il battra même des records du monde un peu comme un supplément au programme. Il se fera battre, parce qu'en période d’entraînement la compétition s'ajoute à l’entraînement, au contraire de la conception européenne qui est de se reposer, de récupérer à fond avant l'heure fatidique et… de perdre son temps.
« Antiprévisions et bonne mesure »
- La natation progresse sur le plan chlorométrique d’une façon spectaculaire qui lui est propre. Et ce depuis qu’en 1950 une équipe de jeunes chercheurs australiens (médecins, psychologues et entraîneurs) a jeté les bases de l’« interval training », bases reprises par tous. Mais jusqu'où les records descendront-ils ? Que peut-on prévoir des limites humaines?
- - Il y a quelques années, personne n'aurait jamais osé prédire les temps réalisés couramment aujourd'hui. A l’heure actuelle, nombreux sont ceux qui prophétisent un avenir vertigineux. Cette tendance frise le ridicule. Il ne suffit pas de parler, il faut le faire, c'est à-dire mettre tout en œuvre pour y arriver.
- Et la juste mesure semble être la meilleure solution ?
- - En sport la juste mesure n’est pas toujours la meilleure solution. Il faut savoir risquer et même se tromper. C’est ainsi qu’on progresse et tous avec.
- La race évolue grâce aux progrès scientifiques. Ainsi l’alimentation plus riche quantitativement et qualitativement, a modifié et modifiera encore, les données physiologiques de l'individu. Les champions. Les champions de demain seront-ils des supermans, plus grands, plus forts que les sportifs que nous connaissons ?
- - On peut le penser, mais sans doute moins qu'on ne l’imagine. Il est curieux de noter que parmi les meilleurs nageurs du monde, dans tous les styles et sur toutes les distances, un nombre appréciable ne dépasse pas les 1,80 m. Cela est rassurant pour tous les gens normalement constitués, c’est à dire dans le présent, pour moi.
« Même en natation, la maturité est une force »
- Vous avez 25 ans et dites avoir la conviction de progresser encore. Or, c’est un lieu commun d’affirmer à qui veut l’entendre que la natation est un sport, un des seuls domaines réservé au « bébé champion ». Certains records détenus par des enfants tendent à le prouver. Êtes-vous donc une exception ou alors?
- - Je ne suis pas une exception. Dawn Fraser, médaille d’or en 1956, 1960,1964 sur 100 mètres nage libre féminin ; Murray Rose qui, à 27 ans, améliorait le record du monde du 1.500 mètres nage libre, après plus de dix ans d'une glorieuse carrière, sont des exemples mondialement connus.
Il y en a d'autres, à tous les degrés de l'activité sportive, nautique ou autre. Ce n'est pas par hasard si Anquetil, Rick Van Loy, Pierre Jonquères d'Oriola, votre seule médaille d'or à Tokyo, ont largement dépassé la trentaine. La maturité, l'expérience, sont des forces qui comptent.
En natation, le problème des femmes est à part. Les gosses de moins de 15 ans sont avantagées sur leurs aînées, du fait de leur flottabilité supérieure. Et de leur faible maître-couple.
Chez les hommes - et je crois que les spécialistes s'en aperçoivent de plus en plus - un entraînement bien conduit doit avoir pour but « l'éclatement » de l’individu à 20 ans ou plus. Schollander, Patty O'Brien, Illitcheiv, etc … sont majeurs. Si les champions de leur âge ne sont pas plus nombreux, c'est plus par manque de temps, ou par saturation morale, que par manque de capacité.
C’est aussi, je crois, parce qu'ils ignorent encore les ressources qui leur restent et qui leur permettraient de progresser dans des proportions confortables : cela est une histoire de mœurs et d’éducation.
« Objectif Mexico, en passant par Font Romeu »
- Quels sont vos projets sportifs ?
- - Eh bien ! Si je peux concilier jusqu’à Mexico mon nouveau job et l’entraînement, je serai encore présent aux prochains jeux olympiques, soit dans les relais, soit, si je m'en montre capable, dans le 100 mètres individuel.
Dans une épreuve d'un si haut niveau, l’intelligence et l’habitude de l’eau sont des arguments de valeur. De plus, certaines expériences semblent prouver que les vieux champions auront du fait de l’altitude, quelques petits avantages… Et je viens de passer deux semaines à Font-Romeu, dans la fameuse piscine de la non moins fameuse cité préolympique qui fait l’admiration des sportifs et des techniciens du monde entier.
Le séjour fut agréable autant qu’utile et je remercie ici tous ceux qui ont favorisé ce voyage. Grâce à eux, je possède maintenant un autre avantage, ne serait-ce que moral, sur mes compatriotes, victimes d'un continent sans centres nationaux, instituts des sports, lycées préolympiques… et d’un pays où l’on ne badine pas avec les règles de l’amateurisme.
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Il est difficile de mettre un point final à ce genre d'entretien amical. Sur un tel sujet, l’éventail des questions et des réponses est en effet immense. David nous a aussi parlé de son pays, nous a cité le cas d'un jeune garçon de 16 ans qui vient de réaliser 52"4/10 au cours d'un relais. Sans commentaires, aussi d'un brasseur de ses amis qui nage le 50 mètres dans le temps exceptionnel de 30 secondes et qui, en deux semaines seulement d’entraînement intensif, se permet de rivaliser avec les meilleurs mondiaux de sa spécialité.
Il faudrait pour bien faire, tirer une conclusion de tout cela mais elle ressemblerait trop à une autocritique (celle de notre natation) et ce serait répéter en d’autres termes répéter ce que David Dickson nous a dit : « Il y a en France beaucoup à faire pour vous occuper ? »