Argent, travail, métro, dodo...
Jean-Noël Gaume est auteur et conférencier. Il a reçu le Prix de la meilleure gestion d'entreprise remis par le Ministre des Finances et a récemment publié aux éditions Kawa, « L'Entreprise Inspirante ». Dans sa rubrique, à propos de la rémunération du travail, il casse ici les codes : L'argent, ça motive ou pas ?
- Jean-Noël Gaume -
Dans l'Entreprise, la motivation
doit se lire au travers d'une grille de lecture qui doit être
dissociée de la rémunération. La motivation, c'est cette énergie
puissante qui anime des individus et des groupes, qui les conduit à
réussir des choses dépassant les capacités communes de « gens
ordinaires ». Pour un grand nombre de personnes, l'argent
apparaît comme un facteur essentiel de leur adhésion et de leur
motivation. Ce n'est pas le cas. Déjà en 1947, Frédéric Herzberg
- auteur d'une théorie qui lie la motivation au travail à deux
facteurs : la satisfaction et l'insatisfaction - affirmait :
"L'argent ça
démotive sûrement mais ça ne motive pas."
Toute
situation ou activité provoque toujours un certain niveau de
frustration lié à la situation elle-même. Ce peut-être le froid,
le chaud, le bruit, les agressions de toutes natures. Elle apporte
également des satisfactions liées à l'activité ou à la
considération qui s'y rattache. Lorsque les satisfactions sont
supérieures aux frustrations, il y a de l'énergie disponible, donc
du plaisir, et ce plaisir vient essentiellement de la relation
positive. Les individus « marchent » aux compliments, aux
encouragements. Le relationnel prime le factuel. Si pour l'individu,
les faits rapportent des compliments et de la considération en
plus : il gagne. Donc il continue de jouer. Si les faits
rapportent des reproches ou de la suspicion en plus : il perd,
donc il fuit. Tous les êtres humains réagissent pareillement.
En
fonction du seuil de consommation, l'argent a des rendements
motivationnels plus ou moins forts. Lorsque les besoins primaires ne
sont pas assouvis, l'argent est une denrée vitale et devient le
premier critère de la motivation. Lorsqu'on débute dans la vie ou
dans l'entreprise, la rémunération est un symbole de
compétence. Lorsque l'individu est installé et que l'aspect
financier est en cause, celui-ci devient symbolique car pris comme un
signe de réassurance, de reconnaissance. Mais pas de remotivation.
Un salaire mal redistribué démotive mais un salaire bien
redistribué ne motive pas à lui seul. Si nous croyons que seul
l'argent motive, nous serons vite déçus. Et pour longtemps.
Il
ne faut pas demander à l'argent ce qu'il ne peut pas donner. Si je
n'éprouve pas de plaisir à dessiner, ce n'est pas plus d'argent qui
me fera mieux dessiner. Si je n'ai pas de satisfaction à vendre, ce
n'est pas une plus grosse prime qui me fera mieux vendre. Si les
commerciaux n'ont pas d'appétit à se battre pour des produits et
pour l'entreprise, ce n'est pas l'argent qui les motivera. Les
commissions en feront des mercenaires, le mercenaire étant celui qui
met son métier au service d'une cause mais aussi au service
de sa cause.
Alors ils vendront pour eux-mêmes et non pour l'entreprise. Et quand
on les licencie, ce qui arrive tôt ou tard, on découvre dans le
placard des tonnes de cadavres.
L'argent n'est en fait
qu'un accélérateur de motivation, non un moteur mais un turbo. Si,
profondément, les salariés n'éprouvent pas de contentement à
travailler dans l'entreprise, gagner davantage ne leur donnera pas
plus de satisfaction. De même, si les gens réalisent qu'on ne
répartit pas avec équité le fruit de leurs efforts, s'ils
découvrent que les discours managériaux ne sont que des mots pour
mieux les tromper, alors ils seront démotivés pour longtemps. Les
bénéfices de l'entreprise performante sont incontestables à
condition qu'ils soient redistribués à chaque acteur. Si
l'entreprise ne sait pas restituer de manière équitable à ses
collaborateurs une partie de l'argent gagné ensemble, elle les
trompe. Ils se sentent abusés, négligés, abandonnés, trahis.
C'est un conflit de considération, de dignité. L'argent que l'on
gagne est le symbole de la plus-value qu'on apporte à l'entreprise.
En vérité, l'argent est un élément authentificateur quand les salariés voient que les paroles dirigeantes sont suivies de faits, qu'elles ont un poids réel au même titre que les compliments. L'argent est l'un des facteurs qui accrédite, crédibilise le discours managérial, mais il ne fabrique pas la motivation. Aujourd'hui, le personnel en entreprise est demandeur de plus de sens, de bien-être, de projets, de compétences, d'autonomie et de pouvoir de décision. L'argent doit survenir pour parachever le système.