Mémoire & Rêves…

Catégorie C'est notre santé

Qu’ils soient abstraits ou très proches de la réalité, personne n’échappe aux rêves lorsque nous sommes endormis ! Mais comment le cerveau se souvient-il de nos rêves pendant notre sommeil ? Pourquoi certaines personnes se souviennent mieux de leurs alors que d’autres ne s’en souviennent jamais ?


- Paul Gauguin, Le rêve -


À l'occasion de la journée mondiale du rêve - le 25 septembre 2022 - Robert Jaffard, neurobiologiste spécialisé dans l'étude de la mémoire et membre du conseil scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires, dénoue les liens existants entre la mémoire et les rêves :

« Le souvenir d'un rêve suppose, outre sa production, qu'il soit encodé puis conservé en mémoire à long-terme d'où il pourra être rappelé. Les travaux sur la mémoire nous ont appris que l'encodage en mémoire épisodique d'un événement nécessite l'activation coordonnée de nombreuses structures cérébrales dont l'hippocampe et la région dorso-latérale du cortex préfrontal, ainsi que leur modulation par certains neurotransmetteurs dont la Noradrénaline. Revenant aux rêves - fréquents au cours du sommeil paradoxal mais présents durant toutes les phases du sommeil – il se trouve que leur encodage ne peut avoir lieu pendant le sommeil pour au moins deux raisons : une réduction importante de l'activité du CPFDL et de la libération de NE. La seule solution pour éviter que la mémoire du rêve ne soit définitivement perdue est le réveil. Il permettra en effet d'encoder le contenu du rêve encore présent en mémoire à court-terme pour le conserver en mémoire à long-terme ; à condition, bien sûr, qu'il n'y ait ni interférences (penser à autre chose) ni refoulement (se forcer à ne pas y penser). De plus, l'efficacité du réveil pour se souvenir dépend à la fois de sa durée (un minimum de 2 minutes d'éveil serait nécessaire) et de sa proximité avec la fin du rêve (un délai de 5 minutes entraînerait déjà l'oubli de 50% de son contenu).

Les enquêtes indiquent que la fréquence de rappel des rêves est extrêmement variable d'un individu à l'autre, certains retenant un rêve par jour, d'autres un par mois au mieux voire aucun, ces derniers considérant – à tort – qu'ils ne rêvent jamais. Plusieurs raisons peuvent potentiellement expliquer ces différences. D'abord, certaines attitudes, aptitudes ou traits de personnalité du sujet comme l'intérêt porté aux rêves, la propension à recourir aux images mentales visuelles, l'ouverture à l'expérience, la tendance à rêvasser ou encore la prédisposition à supprimer les émotions et les pensées négatives, favoriseraient l'activité onirique. Ensuite, la durée du sommeil et surtout le nombre de réveils nocturnes - qui dépendrait du niveau de réactivité cérébrale à l'environnement sonore – augmenteraient la FRR. Enfin certaines caractéristiques du fonctionnement cérébral qui différencient les grands des petits rêveurs reposent sur des mécanismes que l'on retrouve dans le fonctionnement de la mémoire déclarative et dans l'imagerie mentale. C'est par exemple le cas de certaines oscillations cérébrales qui "prédisent" le rappel des rêves et qui sont aussi impliquées dans le maintien des informations en mémoire à court-terme, leur encodage et leur rappel en mémoire épisodique. C'est aussi le cas d'un réseau de structures cérébrales interconnectées, appelé réseau du mode par défaut, dont l'activité est plus forte chez les GR que chez les PR et qui, pendant l'éveil, est associée à l'évocation mentale des souvenirs autobiographiques. Enfin, appartenant à ce réseau, une région cérébrale (la jonction temporo-pariétale) qui sous-tend l'imagerie mentale et dont la lésion entraîne la suppression totale des rêves est plus active chez les GR. Savoir si ces différences fonctionnelles concernent la production, le rappel des rêves ou les deux reste très difficile à déterminer.

Sauf à considérer que le rêve est un "épiphénomène sans intérêt", on peut, pour différentes raisons allant de la simple curiosité à la possibilité d'accroître sa créativité (le souvenir d'un songe serait à l'origine de nombreuses créations scientifiques ou artistiques) vouloir améliorer le souvenir de ses rêves. La stratégie centrale pour y parvenir découle en partie de ce que nous avons vu. C'est apprendre, dès le réveil, à focaliser toute son attention sur le contenu du rêve qui vient de se produire afin de le mémoriser. Outre consigner ses rêves dans un journal pour accompagner cet apprentissage, d'autres conseils sont donnés comme par exemple celui de multiplier artificiellement le nombre de réveils en programmant des alarmes. L'écueil à éviter est d'interférer trop fortement avec le sommeil qui, outre son rôle dans certaines fonctions physiologiques (e.g. immunitaires), reste indispensable - rappelons-le - au bon fonctionnement de notre mémoire qu'il consolide et rend plus efficiente. Et puis, rappelés ou pas, il reste que nos rêves sont le produit de notre sommeil ! Pour finir, on peut se demander si une forte motivation (à se souvenir) et un entraînement adéquat dans le cadre d'un sommeil de qualité, permettraient de transformer un (très) petit rêveur en grand rêveur et si, dans l'affirmative, cela modifierait les patrons d'activité cérébrale qui ont été associés à la production et/ou au rappel des rêves.

Âge et genre affectent à la fois la fréquence et le contenu des rêves. La capacité à se rappeler de ses rêves n'est présente qu'après 4 ans - âge auquel les enfants commencent à distinguer les rêves de la réalité - et, jusqu'à 7 ans, leur FRR ne représente que le quart de celle d'un adulte. La FRR atteint son maximum à l'âge adulte (20-29 ans) puis décroît progressivement au cours des années suivantes mais de façon plus précoce chez les hommes. Au total, au cours de leur vie, les femmes accéderaient mieux à leurs rêves que les hommes. Par contre, la diversité des thèmes de ces rêves décroît de façon linéaire avec l'âge mais sans différencier les deux sexes. La baisse de la FRR avec l'âge pourrait être liée à une diminution du sommeil paradoxal - qui accompagne la détérioration cognitive - réduisant ainsi la fréquence des rêves les plus vivaces (i.e. "remarquables"). La supériorité de la FRR chez les femmes (vs. les hommes) a été associée à leur intérêt plus marqué pour les rêves, à une fréquence plus élevée de leurs réveils nocturnes mais aussi à une tendance au neuroticisme (i.e. expérimenter des émotions négatives) et à la dépression, deux facteurs qui augmenteraient la proportion de mauvais rêves et de cauchemars. Cette supériorité pourrait également constituer une autre expression de la supériorité féminine – avérée - dans le traitement et la mémorisation de certaines informations (e.g. visuelles). »

Robert Jaffard



- Goya, le cauchemar...