L'originalité - qui n'a d'ailleurs qu'un temps - ne peut pas toujours pallier à un manque de savoir-faire. Nul doute, cependant, devant une œuvre de René Perrot (1912-1979). Quel métier ! Quelle finesse d'exécution ! Quelle modernité aussi dans la représentation ! Avec lui, on sait d'emblée qu'on est en présence d'un véritable artiste. Un artiste dont le travail s'inscrit dans une tradition séculaire qui va de Dürer à Picasso, en passant par Brueghel et Rembrandt. Et pourtant, on chercherait en vain son nom dans les compendiums d'histoire de l'art à l'usage des étudiants.

L'exposition que lui consacre le Mucem, cet hiver, pourrait bien lui apporter une nouvelle notoriété, tant elle éclaire, en quelques deux cents œuvres, la diversité de son travail. Elles proviennent directement des réserves du musée, mais aussi de collections privées et de la Cité Internationale de la Tapisserie d'Aubusson (qui a, la première, accueilli cette exposition).  A travers elles, on redécouvre l'homme engagé dans son siècle qu'il fut, le militant pacifiste et l'artiste profondément inspiré par la culture populaire et paysanne. C'est cette sensibilité terrienne qui l'orienta vers le Musée des Arts et Traditions Populaires - ancêtre du Mucem - avec lequel devait s'ensuivre une longue et  fructueuse collaboration. 

- René Perrot, Carnaval, Cantal 1944, aquarelle et mine de plomb -

Le regard de l'ethnologue épouse celui de l'artiste dans ces planches de dessins et d'aquarelles qui nous restituent, avec une rare précision, les costumes et l'ambiance des fêtes et des jeux dans les Pyrénées Orientales. Le paysagiste n'est pas moins talentueux lorsqu'il s'attache à représenter son village natal de Cuse (Doubs), dans un équilibre quasi parfait entre le dessin et la couleur. Pourtant ce sont ici ses tapisseries qui captent le plus l'attention. Elles allaient canaliser son inspiration à partir des années cinquante et le faire participer, à l'instar d'un Jean Lurçat, au renouveau de cet art millénaire. Pas moins de quatre cents tissages sortiront de ses mains habiles. A travers ces somptueuses architectures textiles, René Perrot exprime pleinement sa passion pour la nature, tant animale que végétale. Un oiseau, cependant, revient dans sa production avec une résonance particulière : le hibou. D'où ce vers d'Apollinaire « mon pauvre cœur est un hibou » qui donne son intitulé à cette exposition.

On saluera pour terminer ses trois commissaires, Marie-Charlotte Calafat, Alice Bernadac et Raphaël Bories pour la qualité de leurs choix artistiques et de leurs commentaires. Car loin d'obérer l'émotion liée à tant de beauté visuelle, leurs mots, sobres et précis, la soulignent et la renforcent.

• Mucem, bâtiment Georges-Henri Rivière. Tous renseignements sur www.mucem.org

Jacques Lucchesi