Voyage au passé. On the road again. Go Est…
(suite) En octobre 1972, après avoir quitté le Champ de bataille de Little Big Horn, nous avons parcouru un territoire pourvu en événements liés à l’histoire de la conquête de l’Ouest des États-Unis, c’est à dire de sa colonisation par les Blancs.
En consultant les cartes routières récupérées dans les stations services, les noms des villes traversées ou pas, ne manquent pas d’attirer mon attention. La Grande, Cœur d’Alène, Grange ville, Butte, Grand Coulée, Cascade, Recluse, Eau Claire, Des Moines, Bellevue, Pierre, Napoleon, témoignent de la présence d’aventuriers français et québécois qui ont marqué leur passage dans ces vastes étendues appartenant aux peuples amérindiens, riches de leurs diversités et de leurs cultures. Je me promets d’y revenir et d’y aller chercher des informations sur cette histoire de la conquête de l’ouest commencée par Lewis et Clark et de la place qu’avaient pu y occuper les colons français.
Direction les Black Hills dans le Dakota du Sud en mordant pendant quelques miles dans l’angle supérieur de l’État du Wyoming. Passage par Belle Fourche avant d’arriver à Deadwood, cité bâtie... illégalement sur le territoire des indiens Lakota. Passage obligé, la rue centrale semble être l’unique rue de cette localité. Elle est bordée de saloons tout justes sortis d’un film d’Indiens et de cow-boys. On imagine Wild Billy et Calamity Jane sortir de l’un d’entre eux, un peu éméchés et le winchester à la main. Nous passons sans le voir - nous n’en connaissions alors même pas l’existence - près du Crazy Horse Memorial. Cette grande sculpture à flanc de montagne, toujours en construction, avait été commencée en 1948 pour faire le pendant à celle, non loin de là, du Mount Rushmore. C’est là où nous allons, à la rencontre de la grande Histoire. C’est là que, gravés dans le granit, George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln y contemplent pour l’éternité, une Amérique façonnée par leur vision de la démocratie. Le lieu avait inspiré la spectaculaire séquence finale de La Mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock. Le centre d’information d’où nous avons une vue superbe sur le site, est quasiment vide. Il est vrai que nous sommes hors saison touristique et que nous sommes en... 1972.
Dans cette traversée d’Ouest en Est, nous roulons sur ces routes souvent désertes, au gré de nos fantaisies et en alternant la conduite. Dans nos rétroviseurs, le soleil qui se couche derrière nous, nous éblouit. Plus nous avançons dans l’automne, plus il se couche tôt, ce qui raccourcit d’autant nos étapes. Il faut aussi trouver un lieu pour notre bivouac avant que la nuit ne tombe. Il nous arrive alors de repérer une grange abandonnée ; un garage désaffecté fait aussi l’affaire. Parfois, en attendant de nous installer en toute discrétion, nous passons à la bibliothèque municipale et traînons jusqu’à sa fermeture. L’occasion de feuilleter la presse et de se tenir au courant de l’actualité… Pour constater qu’il n’y a rien de nouveau sous le… soleil, que Gaia continue sa course folle, que nous y attachions de l’importance ou pas… que la guerre du Vietnam décime une partie de la jeunesse américaine, instillant le doute de sa nécessité dans la population. Quant au reste du monde, la presse nationale, apparemment, s’en soucie fort peu.
Toujours dans le Dakota du Sud, nous repartons direction les Badlands en remontant vers Rapid City. Nous abordons le lieu avec un mauvais goût dans la bouche. Et pour cause, ces mauvaises terres, jaunes, grises et rosâtres, avaient été allouées aux Amérindiens. Chassés de leurs terres ancestrales, ils avaient été parqués là, forcés d’y vivre dans des conditions précaires, et n’ayant surtout plus accès aux Grandes plaines giboyeuses dont les avaient dépossédé les colons, devenus éleveurs de bétail ou agriculteurs. Il s’avère aussi que ces formations rocheuses, si spectaculaires pour le visiteur, recèlent de nombreuses fossiles, preuves de l’occupation du lieu il y a plus de vingt millions d’années… Notre court passage nous permet d’ apprécier toute la solennité de ce paysage tourmenté, dans un impressionnant silence seulement agité par le vent.
Nous passons devant la Réserve indienne de Pine Ridge, puis celle de Rosebud. Sur le chemin en ligne droite vers Sioux Falls, nous faisons un stop à Mitchell. Des pompiers finissent d’éteindre un feu sur la Main street, puis nous tombons par hasard sur le Corn Palace, dédié à la culture du maïs. Curieux édifice dont l’architecture de style mauresque détonne complètement dans cette ville typique de la région, essentiellement céréalière. Un peu plus loin, des forains ont monté leurs stands tandis qu’une fanfare colorée et bruyante annonce son approche.
A Sioux Falls, et bien, aucun amérindien... Pourtant, ce fut un sorte « hub », lieu de passage et de rencontre de nombreuses tribus avant qu’elles en soient chassées. Je découvre aujourd’hui, qu’en 2021, les Pandora Papers avaient révélé que la ville avait accueilli une trentaine d’entreprises financières liées à des personnes ou des structures accusées de corruption, de violations des droits de l'homme dans certaines des communautés les plus pauvres du monde.
Nous n’avons croisé ni rencontré grand monde sur ces highways tandis que défilaient les miles. Nous nous apprêtons maintenant à quitter cette Amérique profonde, avant tout rurale, terre des Redneks et le plus souvent Républicaine. En ligne de mire, Chicago, Bloomington dans l’Indiana, Columbus, Buffalo et Niagara falls…
(à suivre)
- Mount Rushmore -
- Badlands -
- Badlands -