Le français, sinon rien...
Marre du franglais et de cette allégeance culturelle unilatérale. Marre de voir le nombre de nos entreprises qui se croient obligées de prendre un nom anglais. Marre de voir une ville afficher sans pudeur « I love Nice », comme si nos visiteurs ne supportaient et ne comprenaient que l’anglais. Marre aussi de l’écriture inclusive. Marre du wokisme et de ses excès. Découragé aussi de constater que si peu d’élus ne soient conscients des enjeux que la perte d’usage de la langue représente.
- photo Jacques Grenier © Archives Le Devoir -
Le Québec semble être le seul a avoir compris les enjeux. Il sait qu’il joue sa survie identitaire et culturelle sur ce dossier. Et il a eu le courage de prendre les mesures nécessaires. Ayant constater le déclin du français dans la vie courante et professionnelle, elle a réagi en se dotant, il y a une quarantaine d’années, d’une Charte de la langue française, communément appelée la loi 101. Ses modalités ont été modifiées par la loi 96 et visent à renforcer les mesures de protection de la langue. Même si nous n’en sommes pas encore là, l’affaiblissement de notre langue sous sa forme parlée comme sous sa forme écrite est une évidence.
Sur Facebook, Christophe Clavé, professeur de stratégie et gestion d'entreprise, argumente et justifie la défense de la langue française, celle que nous avons hérité, partie intégrante de notre patrimoine :
« La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.
Supprimer le mot ‘mademoiselle’ est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien. Moins de mots et moins de verbes conjugués, c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée. Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.
Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe. L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans ‘1984’ à Ray Bradbury dans ‘Fahrenheit 451’ qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots.
Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ?
Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants : faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants. Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté.
Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses ‘défauts’, abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté. » Christophe Clavé