Les Bahamas. Rencontres cordiales...
(la suite) Dans cet archipel, en 1976, la navigation de plaisance a beaucoup d’adeptes, essentiellement des nord-américains. Bien que dangereuse à cause de ses hauts fonds, des nombreux récifs insuffisamment cartographiés et des phares peu performants, elle reste très plaisante. La proximité des îles permet de caboter, passant d’île en île sans avoir besoin de naviguer de nuit. Il existe de nombreuses anses bien abritées pour s’ancrer et de petits ports pour se ravitailler.
- se laver à l’eau de mer avec un savon spécial... Denis et Judy, Warderick wells, Exuma…
Eva chasse de petits poissons… nous avons pris quelques langoustes et poissons cachés dans les têtes de corail
puis organisé une grillade sur la plage -
C’est l’occasion de rencontrer d’autres passionnés de voile et de voiliers. Ainsi, nous fêtons ce 1er janvier 1977 à terre avec nos voisins de mouillage. Le rhum de la République dominicaine coule à … flot. Il y a Percy et Doris, un couple adorable d’Anglais d’un certain âge ; aussi Christian et son amie, Hans et Twiggy, Wally, Ursula, Ed, Beverly… Il y a encore Tom et Michèle qui viennent de Saint Paul dans le Missouri, au cœur de l’Amérique profonde. Quant à Denis et Judy, ils viennent eux, de Denver dans le Colorado, un lieu où l’on pratique plutôt le ski que la voile dont ils n’avaient d’ailleurs aucune expérience… Ils avaient fait le pari de construire en moins de deux ans un bateau dans leur jardin. Et pas de n’importe quel bateau, une goélette de 15 mètres, dont le mât arrière est plus haut que le mat avant. Une sacré allure ! Premier déplacement par la route et mise à l’eau prés de Corpus Christi au Texas, soit pas loin de 1600 kilomètres. Les deux Coloradiens prennent des cours et quelques mois après, les voilà dans le Golfe du Mexique, bourlinguant… La Nouvelle Orléans, Tampa... pour arriver aux Caraïbes. Nous nous entendons bien. Affinités électives évidentes. Denis me proposera même de m’aider si je décidais de m’installer aux USA…
Nous quittons avec regret nos camarades. Sur le retour vers Nassau, nous passons la nuit dans une anse de Curent island la bien nommée car le courant y est très fort. C’est ce que nous découvrons en allant chasser. Dans la passe, malgré l’aide de mes palmes, je dois progresser en m’accrochant aux algues. Le 3 janvier, nous arrivons à l’entrée du couloir, entre Providence island et Paradise island qui conduit à Nasau. Le vent est favorable. Nous glissons sans effort jusqu’au centre de Vishnudevananda où nous nous amarrons… Le lendemain, je suis un cours de hatha-yoga donné par un professeur rencontré chez Suzanne Piuze à Montréal.
Retour d’Anne et retrouvailles avec Denis et Judy sur leur bateau Delivrance. Nous nous donnons rendez-vous à Hachett bay sur l’île d’Eleuthera, longue de 180 km. C’est une étroite bande de terre, de sable rose et de récifs. Nous y arrivons par une nuit claire. Pour une fois, le phare fonctionne. Heureusement, car l’entrée de ce port est étroite. Le lieu est connu pour son élevage de volailles. Nous y achetons deux douzaines d’œufs. John perce le gros bout de leur coquille avec une épingle puis les trempent un instant dans de l’eau bouillante. Apparemment, ça marche, nous n’avons jamais été malades…
Surprise, Tom et Michele sur Whisper ainsi que Brenda et Jerry nous ont précédés. Avec Denis et Judy, ça fait quatre équipages en goguette… qui se rendent en vélo jusqu’à Gregory town, à 12 km plus au nord… pas vraiment la mer à boire… Séduit par ses plages de sable rose formées de poussière de coquillages, il paraît que le Club Méditerranée veut y installer un village… Je finis par acheter une combinaison courte, car l’eau n’est pas si chaude que ça, surtout lorsqu’on y reste plusieurs heures. La chasse est fructueuse : mérous, labres, crabes araignées, langoustes... font notre menu. Nous apprenons tous les jours, parfois à nos dépends. Ainsi, lors d’un apéro agrémenté d’une belle brochette poissons grillés sur la plage, nous évoquons notre déception à propos des crabes araignées que nous capturons. Nous pensions que ce n’était pas la bonne saison car ils sont vides lorsque nous les cuisons. Tout le monde se marre lorsque nous leur racontons que nous les laissons bouillir pendant plus une demie heure, le temps que leur chair... fonde dans l’eau de cuisson… Autre mésaventure, cette fois avec les conques et autres coquillages de bonne taille. Nous apprenons vite à les repérer sur les fonds sableux mais pas moyen de sortir la sorte de gros escargot dont la viande est au menu de tous les bons restaurants caribéens, le fameux lambi. Nous essayons en vain de l’extraire à coup de marteau. C’est un massacre, une bouillie infâme. Jusqu’à ce qu’on nous donne la technique adéquate. Il s’agit de percer un petit trou dans l’extrémité du coquillage. L’air y pénètre et permet alors de retirer facilement le muscle. Reste encore à le battre pour casser ses fibres, comme on le fait en Méditerranée avec les poulpes et autres octopodes.
Le 18 janvier, parti de Rock sound, tout ce petit monde se dirige maintenant vers Freetown que nous dépassons. La navigation est délicate. Il y a beaucoup de têtes de corail. Il vaut mieux voyager de jour, à petite vitesse, et surtout ne pas avoir le soleil de face, la réverbération, nous empêchant de distinguer les obstacles que nous serions susceptibles de heurter. Ainsi, je reste à l’avant, à guetter les coraux trop près de la surface. Nous cherchons un lieu d’ancrage et nous en changeons plusieurs fois car le courant est fort et nous sommes trop exposés.
- « Whisper », comme nous, bien à l’abri, Cap Eleuthera -
Jusqu’à que nous trouvions une échancrure providentielle qui nous permet de nous mettre à l’abri. Peu profonde, elle a été creusée par les promoteurs de la marina voisine, Cap Eleuthera, qui pour l’instant est en cours de construction. Denis et Judy, ne peuvent eux, s’y mettre à l’abri. Le tirant d’eau de Delivrance, est trop important. Le vent forci de plus en plus et les quatre ancres sont nécessaires pour stabiliser leur bateau. Les heures passent qui n’apportent pas d’amélioration. Alors que nous sommes tranquillement en train de jouer aux cartes sur Sumala avec Tom et Michele qui ont pu eux aussi entrer dans l’anse, là, dehors, nos amis trouvent le temps long… La mer est déchaînée et secoue leur goélette comme un cocotier. Après plusieurs heures, les ancres cèdent une à une et le bateau commence à dériver vers nous. Nous le voyons se coucher sur le côté, contre un banc de sable. Du sable, c’est une chance, d’autant que le vent faibli et, comme c’est souvent le cas, en à peine quelques minutes, le calme s’installe. Nous nous mettons à l’eau pour aider Denis et Judy à sortir de ce mauvais pas. Accrochés au mat, il s’agit de le pencher davantage pour faire riper le bateau et le repousser en pleine eau. Puis, il faut remonter les ancres. Nous nous retrouvons ensuite tous sur Delivrance pour fêter cette mésaventure qui, en toute honnêteté, eut pu se terminer plus mal… un café instantané fait l'affaire.
- retrouvailles sur Whisper après la tempête…
Alain, Anne, John, Denis, Michele et… Tom -
La radio nous apprend que tous n’ont pas été logés à la même enseigne. Le froid s’est installé sur la Floride et les Bahamas. De mémoire d’homme, on n’avait pas vu tomber la neige sur la partie nord de l’archipel. Un peu plus au Sud, les températures ont chuté. Des vents de 80 milles à l’heure ont été enregistrés. De nombreux bateaux ont souffert, certains ont coulé, justement à des endroits où nous avions récemment mouillé. Le lendemain nous découvrons le reste de la marina dont une des anses creusées par ses promoteurs nous a épargné bien des désagréments. A l’extrémité de la péninsule, nous apercevons l’hôtel, plusieurs cours de tennis et un immense golf qui n’a pas encore eu le temps d’être gazonné…
Le 23 janvier, nous quittons l’île d’Eleuthera pour celle d’Exuma. En fait, il s'agit d'une succession d'îlets minuscules, de cays qui conduisent jusqu'à l'île principale et à sa capitale, Georges town. Nous n’en avons entendu que du bien. En route pour Highborne cay, toutes voiles dehors, nous touchons une tête de corail. Plus de peur que de mal… (à suivre)
Notes : Nos amis Denis et Judy ont depuis vendu leur bateau et sont retournés sur le plancher des vaches. Denis a pris des cours d’hélicoptère et s’est écrasé avec l’un d’eux. RIP ! John et Anne sont restés ensemble. Ils se sont mariés et ont eu beaucoup d’enfants. Après avoir créé une école de voile à Savannah, en Georgie, ils ont changé de... cap et se sont installés en France, dans les Pyrénées orientales. Pour y fonder une entreprise de construction de chalet à ossature en bois, une technique qui a fait ses preuves en Amérique du Nord. Elle permet de réaliser plus rapidement des résidences écologiques, bien isolées et à des coûts concurrentiels par rapport aux matériaux et techniques conventionnels.