Un après midi comme un autre...

Crédits:
textes par
Catégorie Geste et pensée...

Le soleil brillait, de la même façon dont il brillait il y a plusieurs milliers d'années. Le skieur évoluait sur une neige vierge. Il dessinait des courbes régulières et, simplement à les regarder, on percevait toute l'harmonie du geste, sa fluidité. Cet homme, à cet instant, était en parfaite harmonie avec la nature. Il ne faisait qu'un avec son corps, avec la neige, avec ses skis. Son esprit même était totalement occupé par l'exécution de l'enchaînement des courbes.


Nulle pensée n'interférait, il ressentait une exaltation et en même temps un grand calme. Son geste était juste, terriblement efficace et parce ce que toutes les conditions étaient réunies, il était empreint d’une sorte d’élégance naturelle. Tout spectateur pouvait sans difficulté s'en convaincre et, jusqu’à un certain point, partager cette sensation de plénitude. 

Je l'enviais - comme sans doute tout autre spectateur l’aurait fait - comme on envie un artiste dont on admire l'ouvrage abouti, comme on envie l'oiseau dont le chant clair nous transporte. Mais ce moment de totale harmonie durerait-il ? Avait-il été transformé par l'expérience ? J'en doutais. Je connaissais la réponse, ayant été mon propre sujet d'expérience. Je savais qu'au bas de la piste, au moment de reprendre la remontée mécanique, le skieur allait retourner à ses pensées habituelles qu'elles soient triviales ou nobles, à ses comportements égoïstes, à son agressivité.  

Pourquoi donc, me demandais-je, ces quelques minutes d'harmonie ne se prolongeaient pas, ne nous permettaient pas de mettre un peu plus de cohérence, de générosité, de compassion pour la vie quelque soit sa forme ? Pourquoi donc est-il si difficile d’être en union parfaite avec notre environnement plus d’une instant, alors que l’instant d'après, nous retrouvons nos désirs insatisfaits ?

Le skieur finissait sa descente, souple, s'adaptant sans cesse à la structure changeante de la neige, avec une économie de gestes remarquable. Plus près de moi, je remarquais les traces qu'avait laissé un lapin dans la neige. Je devinais l'entrée de son terrier. Le soleil était encore haut dans le ciel.

Valberg, 1968