Marseille. Coup double au musée Regards de Provence…

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Si l'identité du musée Regards de Provence s'est bâtie sur la redécouverte des grands maîtres historiques du terroir méridional (Raphaël Ponson, René Seyssaud, Joseph Garibaldi ou Pierre Ambrogiani), elle s'est depuis longtemps élargie à des expressions plus contemporaines (Sacha Sosno ou Vincent Bioulès parmi bien d'autres). Car ceux-là poursuivent, avec d'autres codes, le travail de mise en valeur du patrimoine géographique et culturel de ce côté-ci de la Méditerranée.

Jean-Jacques Surian est certainement au nombre de ces prestigieux épigones. Né à Marseille en 1942, il n' a cessé d'observer sa ville de jour comme de nuit. Pas vraiment pour la représenter, mais comme un moteur et un cadre à l'expression de ses rêves et de ses fantasmes. Son art, en effet, fait feu de tout bois, ou plutôt de toutes les images médiatiques qu'il a pu glaner çà et là : publicités, scènes de films, photos d'actrices affriolantes ou même de chefs-d’œuvre de l'art mondial. Mais tandis que beaucoup d'autres plasticiens se contentent de les découper et de les coller sur leurs toiles, lui les peint minutieusement et les resitue comme des visions mystiques dans l'espace de ses tableaux. En cela, il fait un véritable travail de re-création, transformant en symboles personnels ce qui appartient à la culture collective.

Singulière dans le meilleur sens du terme, d'une grande vitalité chromatique, usant et abusant des aplats, sa peinture prend souvent le caractère d'une chronique familiale, entre la confidence intime et le projet mémorialiste. A bien l'observer, elle n'est pas sans évoquer celle de Chagall, mais en beaucoup plus crapuleux. Car l'un comme l'autre n'ont fait que chercher l'inspiration dans leur propre folklore. Oui, l’œuvre peinte de Jean-Jacques Surian est une ode à la liberté d'invention. Et je ne suis pas certain que cet artiste si doué soit reconnu, même après soixante années de carrière, à sa juste valeur. 

Quoiqu'il en soit, cette rétrospective qui occupe les deux niveaux du musée, permet d'en (re)découvrir maints aspects. Dont les quelques œuvres sculptées (comme cette tour de Babel à l'entrée) ne sont pas de moindre intérêt.



- Plossu Bernard, Joan Baez, Big Sur, 1966 -


Quant à Bernard Plossu (né en 1945), grand photographe du réel internationalement reconnu, il est présent ici avec une série de photos (en couleurs et en noir et blanc) réalisées dans les années 60. Son appareil en bandoulière, il arpentait alors la Terre avec la gourmandise visuelle de la jeunesse, s'attachant à fixer un air du temps annonciateur des grands bouleversements du village planétaire. Avec un peu d'avance sur le « summer of love » (1967), ses photos nous parlent de l'émergence du phénomène hippie en Californie et qu'il suivra jusqu'en Inde un peu plus tard. Si son objectif nous offre quelques beaux portraits d'Henry Miller, Joan Baez et Allen Ginsberg, figures de la pensée contestataire d'alors, il se pose avec la même ferveur sur de nombreux anonymes, à commencer par ces sages indiens (« sadhus ») à la barbe épaisse et l’œil malicieux rencontrés sur les plages de Goa et de Ceylan. 

Est-ce que cette aspiration à la liberté absolue qui caractérisa cette génération a complètement déserté notre époque ? Ce n'est pas si sûr quand on voit la vénération pour la nature qu'inspire l'écologie à une partie de notre jeunesse, même sans le pacifisme de leurs aînés.

On l'aura compris : cette double exposition est de celles qui vous emportent très loin dans le temps et l'espace. Une bonne raison pour ne la manquer sous aucun prétexte. (Jusqu'au 15 mars 2025. Tous renseignements sur : www.museeregardsdeprovence.com)