Acapulco. Au bout du jour…

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Je suis monté sur le toit plat qui dominait la baie. De mon perchoir, j’ai vu le vent se glisser, inquisiteur. La peau de l’eau s’est couverte de tendres et douces vergetures. Puis, la peau mate de la mer s’est craquelée. C’était son dernier acte de résistance avant que le jour tombe, amenant son silence réparateur.


Je pouvais voir derrière les collines et la bordure de cocotiers ce morceau d’océan, dont le bleu devenait de minute en minute, plus sombre. J’en devinais au loin la courbure. Les lumières de la ville s’allumaient progressivement portant en triomphe les néons de Coca, de Pepsi, de Corona. Portés par le vent, les nuages disparurent comme pas enchantement tandis que les rares bateaux mouillés dans la baie, s’arrêtaient de tirer sur leurs chaînes. Il y avait comme deux clans qui coexistaient. Les uns agitant les symboles de la modernité et du progrès, les autres ceux d’une nature sauvage et diverse… Deux chalutiers passèrent dans la zone éclairée du port, précédés d’une vague qui les rattrapait à mesure qu’ils ralentissaient. Les autres bateaux déjà à quai tirèrent sur leurs laisses et sur leurs colliers comme des chiens assoupis qu’on dérangeait, mais pas assez éveillés pour aboyer. 

Mon esprit vagabondait. Il hésitait entre l’instant et des images du passé. J’avais marché hier jusqu’au centre de la ville côtière. Il y avait, près de la cathédrale, ces boutiques pour touristes, ces gargotes et leurs tables minuscules, ces familles autochtones qui dégustaient des glaces et sirotaient leur cola. Pour la plupart, elles venaient des collines proches vendre leurs productions artisanales, « sarapes » très colorés, poteries émaillées, peintures sur papier écorce, une technique héritée de l’époque aztèque… Les femmes surtout portaient leurs tenues traditionnelles qui les identifiaient à leur village. De ces groupes, il se dégageait un calme, une harmonie qui tranchait avec les sons de l’orchestre de  qui opérait plus loin. J’entrais dans le magasin d’une chaîne américaine. C’était le seul de la ville à être climatisé. Je traînais dans le rayon librairie et jetais mon dévolu sur un livre de poche en anglais. En sortant, je pris une claque d’air chaud chargé d’humidité… 

Dans la rue, entre ses deux éventaires, il y avait ce vendeur de boucles d’oreille en argent qui lisait le journal. Plus loin, l’écrivain public attendait un client à l’ombre des piliers du temple maçonnique. Le coiffeur pour homme avait ouvert toute grande sa devanture, la radio à fond. La vendeuse de tacos faisait florès… Une femme souriait. Elle portait en équilibre sur la tête deux cagots, un autre à la main. Ses mouvements étaient emprunts d’une sorte de grâce ordinaire qui me touchait. Toutes ces images d’un jour passé s’inscrivirent inéluctablement dans un coin de ma mémoire. 

Acapulco, 1971